dimanche 31 août 2008

Le village - critique -

Une petite communauté isolée vit dans la terrifiante certitude qu'une race de créatures mythiques peuple les bois entourant le village. Cette force maléfique est si menaçante que personne n'ose s'aventurer au-delà des dernières maisons, et encore moins pénétrer dans les bois... Le jeune Lucius Hunt, un garçon entêté, est cependant bien décidé à aller voir ce qui se cache par-delà des limites du village, et son audace menace de changer à jamais l'avenir de tous...
Le village est le troisième film du cinéaste grandissant Shyamalan. Le film fit couler beaucoup d'encre à sa sortie car il scinda l'opinion du public en deux camps : ceux qui ont aimé et puis ceux qui ont été déçu.
Le film, derrière une belle photographie qui a su alterner lumières angoissantes et ombres rassurantes, est plus profond qu'il ne le laisse croire. Au lieu d'être en face d'un film qui devait à la base faire peur, on se retrouve davantage sur un film qui raconte ce qu'est la peur. Ainsi, cette dernière est matérialisée ici sous la forme d'un sentiment manipulé sur une base largement connue : les légendes.
A la veille des élections présidentielles aux Etats-Unis, le message qui est caché derrière le film est un sacré coup de poing pour les représentants des partis concernés. Mieux, Le village recadre dans le droit chemin une réalité du pays qui tente par tous les moyens de cacher aux yeux du monde une vérité dure à accepter : tout va mal et la société devient de plus en plus corrompue par tous les vices existants. Et en ce sens, Shyamalan, sous la métaphore d'un village, nous amène à nous poser de multiples interrogations.
La première : la sempiternelle question de savoir si l'homme naît naturellement bon ou mauvais ? Dans un village écarté de tous vices et éduqué sur les principes même de l'innocence (vivre en communauté, apprendre à se respecter, à s'entraider, à partager...), l'homme ne peut s'empêcher d'avoir recours à un moment ou à un autre au mal. Ici, à travers un simple d'esprit (formidable Adrian Brody). Ce personnage montre malheureusement que même un handicapé mental peut avoir recours au geste le plus terrible qu'est celui du meurtre. Et Shyamalan a su ainsi traiter cela autour d'un judicieux propos aussi fragile soit-il : l'Amour, qui conduit au crime passionnel. Que faut-il faire dans ce cas ? Bannir l'Amour, le seul sentiment qui ne puisse pas s'instruire ? L'Amour fait-il finalement parti des principaux maux qui habitent cette terre ? Car violer les règles de ce village revient à violer et corrompre son propre esprit, échafaudé par un milieu qui apparaît hostile : les bois. Dans cette petite communauté rurale, la peur tourne autour de la couleur rouge, et c'est ce qui amène au deuxième propos du film.
Le rouge et le jaune, deux couleurs qui n'ont rien en commun et qui ne forment pas un mariage harmonieux. Ici, le rouge n'amène qu'à la destruction (les femmes qui enterrent la fleur, seule couleur dans ce tableau monochrome embrumé ; les capes des monstres, la peinture sur les portes...). Mais le rouge symbolise malgré tout la couleur la plus représentative de l'homme, sa matrice originelle, son âme (pure ou sauvage) : c'est à dire son coeur. La peur naît-il du coeur ? à moins que cela ne soit l'inverse... Quant au jaune, il est le symbole ici de la protection, comme le soleil qui fait opposition à la nuit, ses rayons permettant de se frayer un chemin dans l'obscurité la plus totale. Car aussi sombre soit un lieu, aussi sombre soit le coeur d'un homme, il existera toujours une infime lumière qui ne s'éteindra jamais. Le village derrière cette métaphore complexe ressort vainqueur de la partie car il montre que le manichéisme est une notion qui n'existe pas, inventée pour catégoriser des types de personnalités.
Le troisième propos et pas des moindres : le côté politique du film. Face à l'écoeurement d'une société auto-destructrice et dangereuse, une bande de victimes ont décidé d'imposer leurs propres lois afin de récréer un monde à leur idéal de vie, axé sur des notions que l'homme devrait pour toujours conserver : nous sommes tous égaux. Car même si le village, c'est un monde où l'on fait pousser nos fruits par nos propres moyens, où l'on lave soi-même notre linge sale à l'eau bouillante, où la vie y est restrictive, simple, sans artifices, où l'on mange sur des tables en bois et des nappes brodées main, le village reste un monde où l'argent n'existe pas, car celui amène à la corruption. Shyamalan tend ainsi lors de la projection du film un miroir reflétant notre propre image et on a honte. Sommes nous tous déjà corrompus et matérialistes, ne savant plus vivre le plus simplement du monde ? Les Etats-Unis, qui rappelons-le est reconnu pour être le pays qui possède le plus fort taux de criminalité, est-il condamné ? Devons-nous nous sentir obliger de devenir aveugle afin de ne pas voir cette effrayante réalité ? Ou devons-nous telle Ivy, véritable aveugle dans le film, apprendre derrière notre cécité mentale à regarder autour de nous afin de rendre un peu plus vivable une société devenue complètement invivable ? Énormément d'interrogations que chacun peut interpréter à sa façon.
Le village est donc un film à visionner sur une corde raide. Équipée d'un casting sublime et d'une musique qui sonne comme une morale de fable, Le village amène beaucoup à s'interroger sur la condition humaine. Plus effrayant sur son fond que sur sa forme, Shyamalan a réussi le pari de faire surgir à la lumière du jour les vieux démons que l'Amérique tente de tapir dans l'ombre. Fort et courageux d'avoir su aussi bien montrer pendant deux heures l'explicite derrière tout un implicite, le réalisateur fait une fois de plus preuve de son brillant esprit.

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