samedi 23 août 2008

Mulholland Dr. - critique -

A Hollywood, durant la nuit, Rita, une jeune femme, devient amnésique suite à un accident de voiture sur la route de Mulholland Drive. Elle fait la rencontre de Betty Elms, une actrice en devenir qui vient juste de débarquer à Los Angeles. Aidée par celle-ci, Rita tente de retrouver la mémoire ainsi que son identité.
Sans doute le chef d'oeuvre de David Lynch, Mulholland drive ne se contente pas d'inviter le spectateur à entrer dans un univers hallucinatoire. Il l'embarque pour le meilleur et pour le pire vers un monde où le mystère ne s'est jamais autant approprié de tout son corps. On retrouve ici, comme c'est un peu l'habitude avec Lynch, la dichotomie entre le moment où la couche de vernis reste proprement lisse et le moment où cette dernière part en éclats. En d'autres termes, Lynch joue constamment pendant 2H20 entre ce que le spectateur doit voir et ce qu'il croit voir. Et cette confusion spirituelle l'embarque de force et pour notre plus grand plaisir vers quelque chose de trippant, un délire constructif et d'une narration somme toute exceptionnelle.
Mulholland drive a besoin de plusieurs lectures pour être compris. Il renferme de tellement d'indices, de détails innombrables que nous devenons des marionnettes guidées par les mains lynchiennes dans les méandres labyrinthiques de son subconscient. Car ce que réalise Lynch au cinéma est le reflet de sa personnalité et c'est ce qui rend ses films d'autant plus troublant et intéressant.
Lynch montre constamment l'idée d'un revers. Au départ, c'est une Betty toute fraîche et lumineuse qui débarque en ville dans le but de réussir à Hollywood, épaulée par un couple de vieux, charmants en apparence. La minute d'après, on voit ce même couple grimacer d'une manière assez théâtrale pour on ne sait quelles raisons. Au départ, c'est une Rita perdue et innocente qui crie au secours. A la fin, elle devient changée à la fois garce et cruelle. David Lynch, sans virer à l'hypocrisie, pointe du doigt un Hollywood grisonnant, infâme, truqué, affamé d'argent dont les mains se salissent par le sang et la corruption via la mafia, et de talent uniquement basé sur la jeunesse et la beauté.
On est paumé, troublé, largué. On reste hypnotisé devant ce tour de manège à vitesse grand V du début jusqu'à la fin du film en se posant mille et une questions. Mais rien n'y fait. Nous n'obtiendrons aucune réponse et nous en ressortons encore plus intrigué et passionné. Il n'y avait que Lynch qui puisse bâtir un univers aussi incohérent dans une cohérence folle. Véritable roi de la manipulation, Lynch fait côtoyer ici dans une perspective maîtrisée les rêves et les cauchemars de chacun. Ce tourbillon d'émotions transforme la vision du film en une expérience unique, un ravissement intense qui donne le vertige et qui petit à petit, par ses multiples et multiples retournements de situations, fait naître chez le spectateur, de la peur car tirée d'une incompréhension qui vire au néant. Le jour et la nuit, la lumière et l'obscurité ne sont que des artifices qui amènent l'homme à construire ses peurs primales autour de notions qui le dépassent. Dans Mulholland drive, les monstres revêtent leur apparence en plein jour et non pas en pleine nuit comme on a si bien l'habitude de voir (cf le clochard derrière le café). David Lynch ne supporte pas les codes et montre clairement que la vie qui se déroule au grand jour sous un soleil brûlant californien peut s'apparenter aussi bien aux pires malheurs que nous vivons et que nous traversons tant bien que mal. Anticonformisme, besoin de montrer un intérieur à l'intérieur d'un intérieur, rigueur de l'expérimentation, souci du détail... David Lynch maîtrise et se maîtrise, et arbore les sentiments comme des entités humaines.
Naomi Watts et Laura Harring se complète merveilleusement entre la blonde élégante et la sulfureuse brune. Leur jeu d'actrice est stupéfiant car elles ont su puiser dans leur personnage sa force nécessaire. Naomi Watts, habitée, se transforme en une vraie étoile tellement sa composition relève du génie. On aurait pu se poser des questions du fait que Lynch ait choisi des actrices peu connues dans l'univers du 7ème art pour porter à l'écran deux personnages complexes. Mais ce monsieur avait tout calculé. Grâce à Mulholland Drive, nous pouvons profiter du talent incensé de notre belle Naomi Watts dont la tristesse et le désespoir semble se lire sur les contours de son visage.
Et enfin, la musique est également déroutante. Badalamenti, musicien titre du réalisateur, signe une bande son énorme, qui intervient pour chaque scène comme une seconde peau. Elle se ballade, caresse les travellings, les mouvements et les rotations de la caméra et fait véhiculer des émotions graves qui amènent le spectateur à se sentir blesser.
Mulholland drive est un film culte parce qu'il restera dans les esprits de tous comme un OVNI du cinéma dont l'interprétation est personnelle et parce que surtout il démontre tout le talent d'un grand cinéaste qui maîtrise de bout en bout sa réalisation jusque dans ses finitudes. L'analyse est infinie, profonde, passionnante, et la juxtaposition des scènes, qui à priori ne possèdent aucun vecteur commun, se mêlent au final comme une mosaïque géante où le délire ne s'est jamais aussi bien marié avec la jouissance procurée par le spectateur devant sa propre incompréhension et la beauté de chaque image dont il a été le témoin.

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